Survivre sans état
C’est naturellement le droit et le devoir d’un mouvement national minoritaire de préparer, en plus du développement théorique, des actions politiques pragmatiques avec pour objectif d’obtenir des résultats sur le front de la revendication autonomiste. Personne ne peut empêcher qu’on théorise, qu’on projette et qu’on mette en œuvre une action susceptible d’obtenir un résultat « national » pour la défense d’une identité minoritaire. Dans les minorités ethnolinguistiques qui aspirent à se gouverner, le concept d’un « gouvernement provisoire » naît de l’urgence d’une visibilité politique face aux difficultés objectives de diffusion et d’enracinement sur le territoire. Il est de toute façon évident que de grands éléments de nouveauté ont fait leur apparition au cours des dernières décennies par rapport au concept de nation. Le nationalisme, dans ses épigones de pensée, s’est rendu compte que ce n’est pas à un Etat qu’on doit une fidélité éthique (problème qui a conduit à des tragédies graves et à des totalitarismes relatifs) mais que tout l’engagement politique doit confluer vers la communauté ethnolinguistique territoriale. Nous sommes aussi conscients que l’antagonisme ethnique exacerbé a créé et crée toujours cette propension à voir le voisin comme danger menaçant, comme risque à la survie de sa propre identité. On pourrait de suite objecter que c’est l’occitanisme qui subit l’ostracisme, que c’est notre identité qui subit la négation de ses droits à cause d’Etats issus de décisions politiques. Mais cette donnée fait réfléchir parce qu’elle nous démontre qu’avec la création d’un Etat nouveau, en théorie, les mêmes ostracismes ou des différents se perpétueraient peut-être même à l’intérieur de la même communauté.
Tout le monde a sous les yeux les graves difficultés auxquelles sont confrontés les Etats dans le contexte actuel, ainsi qu’à la lumière des équilibres entre majorités et minorités culturelles. La décentralisation semble être l’unique possibilité concrète pour surmonter la bureaucratie étatique et pouvoir mieux satisfaire les exigences de la communauté, dont l’ethnolinguistique n’est pas la moindre.
Je me demande quelles orientations peut prendre un « gouvernement provisoire », si non représenter symboliquement une sorte de structure étatique dont nous avons déjà mis en évidence les limites. Voilà la limite du projet né au sein du Parti de la Nation Occitane. Une minorité ethnolinguistique qui vit le présent, étant bien entendu qu’elle a le droit de sauvegarder son identité, doit « marquer » le territoire par une présence qui, à la lumière du contexte européen, démontre avant tout sa nature culturelle différente. La fonction politique d’une minorité ethnolinguistique est de rejeter l’acculturation qui provient des soi-disant majorités culturelles et d’éviter d’en copier les structures. C’est vers la décentralisation qu’on doit regarder, la décentralisation des communautés territoriales, pas nécessairement régionales, créées comme dans le cas de la France à partir d’images et de similitudes avec l’Etat, et aussi à la lumière d’une communauté occitane que par principe nous n’avons aucune intention de morceler.
Roberto Saletta